Le combat spirituel à l’école de Saint Pierre
Simon, simple pêcheur sur le lac de Tibériade, est devenu Pierre, celui sur lequel Jésus a choisi de bâtir son Église. Quelle destinée étonnante ! L’apôtre le plus cité dans l’Evangile nous est familier. Mais le connaissons-nous vraiment ? Sommes-nous conscients du rude combat spirituel que Pierre a eu à mener pour devenir capable de revêtir l’habit du premier pape ?
Simon, un homme ardent au cœur généreux
Fils de Yonas, Simon est né à Béthsaïde, en Galilée. Avec son frère André, il est pêcheur sur le lac de Tibériade. Celui qui deviendra Pierre n’est pas un savant. C’est un homme simple, sans grande éducation, comme le rapportent les Actes des Apôtres : « Constatant l’assurance de Pierre et de Jean, et se rendant compte que c’était des hommes sans culture et de simples particuliers, ils étaient surpris. » (Ac 4, 13) Apparemment, Simon n’a rien d’extraordinaire. Mais Jésus, qui ne regarde pas à l’apparence et sait lire le cœur, repère dès le début chez Simon une force d’âme qui, avec le secours de la grâce de Dieu, le rendra capable d’assumer une mission extraordinaire. Une mission qu’il lui indique en lui donnant son nouveau nom : Pierre. « André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas » – ce qui veut dire : Pierre. » (Jn 1, 42)
Simon est un homme au grand cœur. Il se donne généreusement et radicalement à Jésus et au Royaume de Dieu. Il a « tout quitté pour [le] suivre » (Mt 19, 27) : femme, enfants, maison, travail. Il faut le faire ! Simon est doté d’un caractère fougueux et entier. Avec lui, c’est tout ou rien ! Par exemple, le soir de la dernière Cène, il répond à Jésus, qui veut lui laver les pieds : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » (Jn 13, 8a). Mais il n’est pas buté. Il est capable de se remettre en cause et de changer d’avis quand il prend conscience qu’il a mal compris ou s’est trompé. Dans le même épisode, une fois que Jésus lui a expliqué que s’il ne se laisse pas laver, il n’aura pas de part avec lui, Pierre s’écrie : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » (13, 9)
Simon sait aussi être courageux. Au moment de l’arrestation de Jésus, alors qu’un autre disciple portait aussi un glaive (Lc 22, 38), c’est Pierre qui dégaine son glaive pour défendre Jésus.
Pierre est enfin un homme qui sait exercer l’autorité. Les autres apôtres lui obéissent. Par exemple, Jean obtempère immédiatement quand Pierre, pendant le dernier repas, lui fait signe de demander à Jésus qui le livrera (Jn 13, 23-25).
On voit donc que, sur le plan naturel, Pierre porte en lui une force, une générosité à se donner et une combativité remarquables. Mais cela suffira-t-il ?
Esprit de Dieu ou esprit du monde ?
Pierre est plein d’entrain au début. Il veut tout donner pour le Christ. Mais il n’a pas encore conscience du combat qu’il aura à mener…
Ébloui par la puissance des paroles et des gestes de Jésus, puissance à laquelle le Maître le fait participer, ainsi que les autres apôtres et disciples, Pierre expérimente que c’est en s’appuyant sur la force du Nom de Jésus qu’il porte le plus de fruit. On l’imagine dire, avec les soixante-douze disciples : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! » (Lc 10, 17)
Pierre sait laisser l’Esprit-Saint parler par sa bouche. Il prononce ainsi des paroles prophétiques qui le dépassent, par exemple quand il dit à Jésus : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6, 67-69)
Mais il reste instable, se laissant tantôt inspirer par l’Esprit Saint, tantôt par l’esprit du monde qui lutte contre Dieu. C’est ainsi que, juste après avoir professé que Jésus était le Messie, Pierre prétend s’opposer à la mission salvatrice de Jésus.
« Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16, 22-23)
Pierre face à ses limites : entre excès et défaut de force
Trois épisodes de la vie de Pierre montrent comment, lorsqu’il s’appuie sur ses seules capacités humaines, il chute par présomption, excès ou défaut de force.
Au moment où Jésus annonce qu’il va être livré, flagellé et crucifié, Pierre, dans l’ardeur de sa fougue, assure qu’il ira à la mort avec lui. Il ne tient pas compte de l’avertissement de Jésus, qui lui prédit son reniement… Présomption.
Au moment de l’arrestation de Jésus, Pierre fait certes preuve de courage en se battant pour défendre Jésus, en prenant le risque d’être arrêté, blessé, voire tué. Mais au lieu de défendre Jésus, par exemple en faisant rempart de son corps pour protéger son rabbi bien-aimé, il agresse le soldat Malcus et lui tranche l’oreille droite. Il tombe dans l’excès de force qu’est la violence. Jésus le corrige alors avec autorité en lui disant : « Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. » (Mt 26, 52)
Quelques heures plus tard, alors que Jésus comparaît devant le grand-prêtre, Pierre se réchauffe auprès du feu, dans la cour. L’agressivité dont il a fait preuve au jardin des Oliviers a disparu. À présent, c’est la peur qui domine dans son cœur. Toute force a disparu. Par trois fois, il nie connaître Jésus. Ici, c’est par défaut de force, par lâcheté, qu’il chute.
La meilleure préparation au combat : chuter et expérimenter la miséricorde de Dieu
La chute de Pierre
On a vu Pierre plein d’entrain au début, rempli d’une belle vigueur, désireux de tout donner pour le Christ. On a vu Pierre oscillant entre le sublime et le désastre, entre la docilité à l’Esprit Saint et la soumission à l’esprit du monde. On voit surtout que, jusqu’à la Passion de son rabbi, Pierre n’a pas encore pleinement conscience du combat décisif qu’il a à mener : un combat spirituel pour aimer jusqu’au bout. Pierre, qui croyait au début que sa propre force suffirait à le faire aller jusqu’à la mort pour Jésus, va découvrir, à l’école de son Maître, que la vraie force, celle qui permet de mener le bon combat et de l’emporter, se puise dans la miséricorde de Dieu qui pardonne et relève. Ce chemin de Pierre serpente entre deux paroles, prononcées l’une et l’autre pendant la Passion de Jésus : « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort » (Lc 22, 33) et : « Non, je ne le connais pas » (Lc 22, 57).
Le triple reniement, quel terrible échec pour Pierre dans la bataille qui se livre en son cœur !… Lui qui pensait être fort, qui se sentait proche de Jésus au point de se croire capable de ne faire qu’un avec lui dans ses souffrances et dans sa mort, voilà qu’au moment de la haine, de la peur, de l’humiliation, Pierre n’en trouve pas la capacité. Il renonce, il s’échappe, il se perd. A ce moment-là, la ville est vaincue, le cœur de Pierre est envahi par l’ennemi. Dieu seul peut le secourir. Ce moment est décisif. Et contrairement à Judas, Pierre n’ira pas se pendre.
Dans le film de Mel Gibson La Passion du Christ, on voit le regard que Jésus pose sur Pierre juste après que celui-ci l’a renié pour la troisième fois. C’est ce regard qui le sauvera. « Les regards qui nous sauvent sont les regards qui nous espèrent », écrit le père Baudiquey. « Et qui nous pardonnent », peut-on ajouter. Sur le visage douloureux et tuméfié du Christ se lit une miséricorde infinie malgré la trahison. Pierre se cache le visage et « pleure amèrement » (Mt 26, 75), de tristesse, mais aussi de contrition. Il a fallu cette épreuve pour Pierre, cette preuve aussi que le combat spirituel sans les armes du Christ, que la conviction d’être fort par soi-même, n’est que forfanterie et amère illusion.
Jésus relève Pierre, le guérit et le confirme
La guérison de la blessure profonde que Pierre s’est infligée en reniant son Maître bien-aimé, c’est Jésus, le divin médecin, qui l’opérera quelques jours après le reniement, quand il apparaît, ressuscité, à ses disciples. Il vaut la peine de citer en entier ce si poignant dialogue :
« Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. » (Jn 21, 15-19)
Jésus commence par donner à Pierre l’occasion de lui dire par trois fois « Je t’aime », lui qui avait affirmé par trois fois : « Je ne [te] connais pas. »
Puis il le restaure et le confirme dans sa mission de pasteur, fidèle à la promesse qu’il lui avait faite de bâtir son Eglise sur lui : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, lui avait dit Jésus ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » (Mt 16, 18-19). En lui disant par trois fois, au bord du lac, « Sois le berger de mes brebis », il lui redonne sa lettre de mission.
Quel plus beau geste de miséricorde et d’amour inconditionnel pour Pierre de la part de Jésus ? Au bord du lac, le Christ redit à Pierre que c’est bien lui qu’il a choisi pour gouverner l’Eglise en son nom à lui, Jésus, en se mettant au service de ses frères comme « serviteur des serviteurs de Dieu ».
Enfin, Jésus signifie à Pierre qu’il devra combattre, avec les bonnes armes cette fois, et même « être emmené là où il ne voudrait pas aller ». Et quand Pierre est tenté de se comparer à Jean, dans un mouvement de curiosité peut-être teintée de jalousie, Jésus le recadre et le recentre sur le seul vrai combat : le sien. « Que t’importe ? Toi, suis-moi. »
Suivre le Christ à l’école de saint Pierre
Pierre est à l’origine de la mission apostolique de l’Eglise. Les Actes des Apôtres commencent avec le récit des paroles que l’Esprit Saint met dans sa bouche et des œuvres que ce même Esprit Saint accomplit par ses mains.
À l’exemple de Saint Pierre, livrer la bataille pour le royaume de Dieu en utilisant les sept armes spirituelles (vérité, justice, zèle à annoncer l’Evangile de la paix, foi, salut, parole de Dieu, prière), c’est le meilleur emploi que l’homme puisse faire de sa force. Ce combat est d’abord intérieur : c’est un processus de conversion. Le premier champ de bataille est notre cœur même.
Saint Pierre, notre premier pape et notre frère aîné dans la foi, peut témoigner que devant les embûches de l’orgueil, de l’emploi déraisonné de la force, de la lâcheté, de la mauvaise curiosité, la plus grande arme est la miséricorde infinie du Père accueillie avec humilité, amour et profonde gratitude.
Arnaud